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Mai 2000 |
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« Ne résolvez pas les problèmes »,
Nouvelle économie... Mon problème, cest que je ne sais pas grand chose des fondements théoriques (sil y a), ou idéologiques (il y a) de ce que lon appelle la « nouvelle économie » : je lis rarement les journaux, regarde parfois la TV (en vain), écoute distraitement la radio dans le bus. Il sagit tout dabord de lassemblage de deux mots qui a priori magacent individuellement, forment un assemblage particulièrement « modernisant » plus irritant encore. La « science » économique a souvent le don de mhorripiler, formalisant au forceps, ou entérinant des façons de faire, de vivre, de sentir rarement « pragmatiques » (la vie quoi; son désordre). Quand au mot « nouveau » il me semble relever de la « rhétorique » de base de tout débutant en marketing ou en communication. Est-ce que lessor du catholicisme, en son temps, peut être assimilé à ce quon appellerait une nouvelle économie? Qui sont les acteurs de cette affaire, quelles en sont les règles, les objectifs... Surtout : qui en sont ou seront les victimes? Je ne peux mempêcher de penser comme ça, en creux : dans quelle ressources puise-t-on pour maintenir « léquilibre » du système. Et à quoi sert-il? Il marrive souvent de voir des jeunes gens risquer leur vie (ça nest pas une hyperbole), à mobylette, pour livrer le plus rapidement possible des pizzas chez des quidams qui ont trouvé normal, amusant, pratique de décrocher leur téléphone (mais dit-on encore décrocher pour les portables?) pour déclencher cela. Une façon ordinaire et médiocre d'être résolument moderne, certes. Je ne sais pas si cela a à voir avec la NE; je crois. Cela concerne aussi évidemment surtout les gens qui passent des heures devant un écran, à cliquer, à entrer quelques mots ordinaires (prévisibles) dans un moteur de recherche (consulter à cet égard les « hit-parades » des mots les plus recherchés à laide des moteurs les plus courus (Yahoo!, Altavista...), cest assez édifiant), en oubliant le boire et le manger, le conjoint, et darroser les plantes, fascinés par des gif animés, des scripts java puérils... Cest sans doute cela, la nouvelle économie; une facette de. Toute cette énergie, là derrière, là-dessous, déployée à mettre en place, maintenir, développer cette vaste hypnose qui, tôt ou tard (ne rêvons pas) fera porter la main au gousset. Même si la main et le gousset sont virtuels, les sous changent de place. France Télécom, pour le moment, semble être en France lun des heureux bénéficiaires de cet engouement. Les marchands de PC « familiaux » également. Surfez, créez votre site. Mettez-y vos photos de vacances réalisées avec un coûteux appareil numérique. Bienvenue au club des cyber-ridicules. Certains se gaussent sans parcimonie et recherchent avec délectation les sites les plus niais. Kitsch involontaire (mais le kitsch volontaire est-il possible?). Ça ne manque pas. Mettez votre CV « en ligne » (qui le lira?), mettez des heures à vous prendre pour un pirate en téléchargeant « en avant première » le dernier CD sans grand intérêt du dernier groupe à la mode. Il y a de quoi faire. Bien évidemment, frimeurs, poseurs, ne peuvent manquer le coche sans probablement se rendre compte de la nature « prothèsique » des produits concernés, ni de la dépendance à laquelle cela peut mener (ne pouvoir vivre sans les prothèses, dune part, mais aussi « être toujours joignable » (lhorreur); par son patron notamment. Mais on ne dit plus « patron », cest vrai). Et cette pseudo-indépendance, liberté, autonomie, socialité, tout ce quon voudra, sarticule avec une sorte de fatalité fascinante avec ce quon appelle le « heavy cocooning » : cocon blindé (chez soi), mobile (voiture) et social (Internet). La zone dombre.
Toute cette mayonnaise sur les start-ups, les silicon-machin-choses (je préfère la
regrettée Lolo Ferrari tiens) engendrera à terme bien des désillusions, je pense, même
chez les lobotomisés des écoles de commerce ou de communication. Les orientations
sous-jacentes cadrent bien également avec les inclinations (les instincts) du cAPITAL :
micro-entreprises, out-placement, ne pas compter ses heures, être passionné, disponible,
flexible, motivé, jeune, énergique, lisse, devenir léternel sous-traitant
traquant en son sein labominable « non-qualité » pour, de toutes ses
forces souriantes (mais cest parfois un peu crispé) produire du vent, de
léphémère; du gadget. De la poudre de perlimpinpin. Mais sur ce presque rien à
côté duquel une meringue ressemble à un méchant artefact de plomb, se greffe pléthore
dacteurs et de conseilleurs parasites. Comme quoi « rien ne sert pas à
rien » pour antiphraser le respectable Claude Seyve (« Rien sert à
rien. »). Ici ce serait plutôt : « Rien sert à tout ». Daprès les spécialistes, la NE semble se définir selon quelques caractéristiques que nous énumérerons ci-après en vrac et après lesquelles nous grincherons bien évidemment.
Le savoir Dans le cadre de la NE, on considère le savoir comme denrée de base (dommage que lon ait pas opté pour la sagesse...). Le savoir ici ressemble furieusement à du pouvoir, avec cette capacité obligée, et gage de son utilité, à se transformer le plus rapidement possible en dollars.
La personnalisation de la demande Où lon oublie de préciser que cest parfois le marchand qui personnalise la demande (biais des choix multiples prévus davance : on vous fait croire que vous avez le choix, en oubliant de vous prévenir : le vrai choix ce serait de pouvoir refuser de choisir). Quand on y croit un peu, cest décevant : il ny a jamais ce que lon veut, le modèle parmi la kyrielle proposée désiré nest pas disponible, la couleur choisie est en rupture de stock, les options désirées ne sont plus au catalogue, le délai indiqué ne concerne que le modèle de base sans options, etc. Alors on se rabat sur « le second choix ». Parce quà ce stade de prise de décision, on est râpé.
Les grandes unités se réorganisent en petites entités Voire en ateliers autonomes, responsables, responsabilisés à outrance dailleurs, pas forcément bien rémunérés, et quil est loisible de faire disparaître si lanalyse (grand dieu!) et tous les tableaux de bord à la con révèlent une rentabilité insuffisante aux yeux des actionnaires principaux. Voir aussi : out-placement, essaimage (i.e. sous-traitance). « Lorganisation matricielle se substitue aux structures pyramidales ». Matricielle et volatile.
Les réseaux Pour partager un volume dinformation toujours plus important. Ben tiens. Et jusquoù pourra-t-on pousser cet effet boule de neige? Très vite « on » est obligé dutiliser des robots, des « agents intelligents » qui vaillamment, les pauvres andouilles, parcourent les axes et les chemins vicinaux de linformation, en quête toujours, sans fin, de linformation utile (à quoi on ne sait pas; ça tient de la thésaurisation; certains ont modélisé le temps quil faut à un honnête homme (je sais il ny en a plus guère) pour prendre connaissance des publications relevant dune seul domaine de spécialisation; le temps réel ny suffit plus; doù ce nécessaire temps irréel. Mais je memporte). On appelle ça « la veille ». On peut dores et déjà disparaître : les gentilles entités pétulantes dûment auto-programmées engrangent, synthétisent, comparent, croisent, heuristisent comme des bougresses. Linformation comme denrée. Comme des grains pour les pigeons. Les pigeons ne savent probablement pas que lon peut faire des dessins en disposant les grains selon certains agencements. Réseaux, le mot est à la mode. Avant, on faisait probablement la même chose, mais sans en faire une pendule. LInternet est devenu le grigris, la marotte des incantateurs politico-économiques. Et alors? Lorsquon brandit les chiffres des connectés, des non connectés (les sales gueux!), avec cette vertueuse hypocrisie qui consiste à vouloir faire croire quon parle de progrès, de bien-être quand on parle gros sous, on oublie également de parler de contenu. Ou plutôt : dabsence de contenu. Démultiplier quon me pardonne les mêmes âneries, quon trouvait déjà sur papier, sur écran TV ou à la radio, je nen vois pas lintérêt. On me convaincra lorsquon parlera de révolution en terme de réflexion, dintellect ou déthique. Je suis récemment allé sur un Chat consacré à la musique indépendante. Non seulement le cul et la vulgarité la plus vile emplissaient tout lespace, mais de surcroît chacun semblait parler tout seul. Jai plusieurs fois posé la question de savoir pourquoi, dans une zone consacrée à un sujet spécifique, personne ne semblait sen soucier, tenté de susciter une sorte de débat à cet égard, mais on na pas même daigné me répondre. Je devais avoir lair niais, probablement.
La démocratisation de la technologie et du savoir Waf. Est-il nécessaire dargumenter? Lusage « intelligent » de ces technologies requiert des apprentissages, une culture et des compétences qui ne sont pas « donnés » et représentent des coûts, financiers, mais aussi en terme de temps, et defforts. De plus, en tant que signes de classe, on peut aisément imaginer une stratification et une « distribution » entre ce qui serait « réellement » « démocratisé » (et sapparenterait davantage à de la consommation de masse, passive) de ce qui le serait moins (instruments de création et ou de contrôle, daccès aux information nécessairement confidentielles (leur valeur même) et/ou complexes). Au reste, dans la pratique, actuellement, lusage de ces matériels, durs ou mous (hardware/software, merci) savère bien souvent compliqué voire relever du rite initiatique, décevant, peu fiable, et rebute rapidement le débutant profane, fut-il convaincu. « On », nous dit-on, investit des milliards afin dassurer la cohésion des services que rendent ces infrastructures (les réseaux numériques par exemple) sans préciser bien au fond qui, et pourquoi. Qu « on » nous permette aussi dêtre un tantinet dubitatifs quant au désintéressement et à lhumanisme de ces hons.
Limportance de linnovation On argumente sur les exigences grandissante de la clientèle (so : cyber-citoyen... ou cyber-client?), comme sil ny avait pas, du côté de loffre, ces délires en cascade, cette inflation de « puissance », cette ivresse de technologie dépourvue de contenu, cette soif de nouveauté que le client échaudé ou prudent peut laisser passer un moment, « pour voir ». Cette attente « pour voir » permet de contempler lapogée puis la rapide obsolescence et disparition de concepts qui semblaient destinés à bouleverser le monde et les habitudes. Pour en juger, relisez vos magazines dinformatique vieux dun an ou plus. Certaines révolutions fracassantes sont déjà plus quoubliées (au profit de nouvelles « tendances », bien évidemment). Si je vous dit dataware?
Rapidité et constance des transformation Dabord ça fatigue (comme vu précédemment). En outre, les changements incessants, augmentation de puissance, augmentation en complexité des logiciels également (et bricolage des plates-formes remember le Windows 95 affranchi de la couche DOS...) oblige les utilisateurs (professionnels ou autres) à une perpétuelle « mise à niveau », épuisante et ridicule. Le but devenant rapidement : connaître les nouvelles fonctionnalités et shabituer à la nouvelle interface complètement remaniée de la dernière version presque clean du traitement de texte Machin, et non plus « utiliser efficacement utilement? un traitement de texte ». Se mettre au goût du jour, tout en ayant à préserver les acquis (doù : gestion de versions différentes de produits, parcs hétérogènes, normes multiplies, langages et syntaxes démultipliés...). Babel. On argumente du gain de temps, sans préciser pour quoi en faire. Dégager encore du temps pour travailler? Accroître la productivité (quest-ce quil en a à faire, le mal-salarié, de la productivité?), mettre davantage de travail, de responsabilités et de pression dans le même laps de temps? Quant à changer pour changer, voici une posture intéressante. Je pourrais ainsi, pour me montrer en phase, proposer que nous parlions dautre chose, de géraniums ou de tomates farcies par exemple.
Peut-on imaginer un boom, une expansion continue? Peut-on sempêcher dimaginer
(espérer?) des effets pervers? Et pendant ce temps-là, le monde, le monde davant,
qui nest pas oblitéré, qui nest pas totalement virtualisable, comment
va-t-il? Comment va-t-il continuer? Va-t-il souffrir dun manque de financement ou
dintérêt (et de considération) au profit de léconomie virtuelle? Qui
torchera le cul des vieux internautes quand ils seront touchés par la sénilité (si ce
nest déjà fait)? Des nymphettes virtuelles aux mains dacier dans des gants
de soie? Lara Croft herself? |
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