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 Philippe Billé  Souvenirs d’un voyage
  en Belgique

   retrouvés en faisant du rangement.
     
 
 Philippe Billé
Lettre documentaire 328. Bordeaux, mai 2000.
  
 

      

paris, gare du Nord, vendredi 15 janvier 1988. Je prends place dans le train pour Lille, qui se remplit peu à peu. Face à moi, une vieille dame lit Ouest-France. De l’autre côté, une plus jeune femme et plus grosse lit La pastorale spiritualiste, volume VII : Le monde à venir. Quelques minutes avant l’heure du départ, un homme d’une cinquantaine d’années entre dans le wagon et crie « alors je vais leur répéter, ici : je sors de FLEURY-ME-RO-GIS, je suis en liberté CON-DI-TION-NELLE », et demande qu’on lui donne du blé pour payer son billet. Il s’avance dans le passage, sollicite chacun avec insistance, se penche pour embrasser sur la tête les femmes qui lui font l’aumône, entretient les gens par des contrepèteries du genre « faut pas confondre tentacule et encule ta tante », dont il rit seul. Je trouve son numéro gonflé. Il semble ivre ou cinglé, ou les deux à la fois. La plupart des voyageurs lui tendent la pièce, probablement par peur. Quand vient mon tour, inquiet moi-même, je le regarde et je lui dis « moi, je peux pas ». Il me répond d’un sonore « merci quand même » et continue son cirque jusqu’au bout du wagon avant de disparaître. A 13 h 05, le train part.

pointg.gif (57 octets) Bruxelles, dimanche 17 janvier. Je sors vers midi. Le ciel est gris, les rues sont vides. Je gagne à pied le centre-ville. Dans le parc au dessous du Palais des Congrès, je croise un groupe de très jeunes scouts. Ils crient « on ne mange plus » à la monitrice qui les accompagne, probablement par allusion à un ordre qu’elle leur a donné, alors qu’elle-même semble mastiquer quelque chose. Au moment, où je passe, l’un d’eux se tourne vers moi et aboie « on ne mange plus ». Je ne réponds pas. Plus bas, en descendant le long de la chapelle Sainte-Geneviève, j’aperçois un porte-monnaie à soufflets ouvert, abandonné par terre entre des buissons. Je ne m’arrête pas. Un ballon en plastique, orné d’hexagones noirs et blancs, est coincé derrière la tête de deux statues qui occupent une niche de la façade. Je déambule lentement dans le vieux quartier. Rue des Harengs. Petite rue au Beurre. Rue du Marché aux Herbes. Sur les plaques, le nom des rues est presque toujours écrit à la fois en français et en flamand. J’entre dans l’église Saint-Nicolas. Je regarde les publications installées sur des présentoirs, je feuillette un journal bilingue franco-italien. Puis je vais m’asseoir sur une chaise du dernier rang. J’y reste un moment. Un haut-parleur diffuse doucement de la musique ancienne. Une femme s’avance dans la nef, retourne une chaise, s’y agenouille pour prier. Une autre vient faire de même, un peu plus loin. J’ai faim. Je me rends dans un proche fast-food où je mange deux cheeseburgers en observant les gens autour de moi. Une plaque scellée dans le mur indique qu’il s’agit du « first McDonald’s restaurant in Belgium, opened 21st march 1978 in Brussels ». Un employé brun, moustachu, salue de temps à autre des clients dans plusieurs langues et leur demande ce qu’ils parlent. Il ne me dit rien. Dehors il fait toujours gris mais il ne pleut pas.

 

Philippe Billé

Philippe Billé
   

  
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