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Source :
d’après un article de M’BAREK REDJALA : « Les Kabyles »,
Encyclopédie Universalis.
La
kabylie
[...]
Le nom de Kabylie est la forme européanisée de l’arabe
kbayl (tribus). [...] Cette dénomination a été
introduite par des voyageurs européens. De nos jours encore,
seuls en usent en Algérie les sujets s’exprimant en français.
L’arabophone dira blad lekbayl (pays des tribus), kbayl
étant traité ici en véritable nom propre. Quant
aux Kabyles eux-mêmes, ils emploient un terme appartenant au
très ancien fonds berbère : tamourt, la
terre, la terre natale, la patrie, le pays. Ce tamourt n’a
jamais connu de frontières bien définies. Il eût
fallu pour cela qu’il se constituât en État, et les Kabyles
ont été de tout temps farouchement opposés à
une hégémonie politique qui eût rendu impossible
à leurs yeux l’application d’un principe de gouvernement solidement
ancré dans leurs mœurs: le contrôle direct et rigoureux
d’un pouvoir central électif. Le rejet d’une autorité
commune de quelque importance ne signifiait cependant pas absence
de cohésion. Morcelée à l’intérieur, la
Kabylie n’offrait pas moins l’image d’un bloc, agissant en tant que
tel, solidaire certes de l’ensemble algérien qu’elle a incarné
plus d’une fois, mais sans jamais cesser de s’en distinguer. [...]
Une
région montagneuse
La
Kabylie est une région accidentée, parcourue d’ouest
en est par deux chaînes de montagnes se rejoignant à
leurs extrémités. Dans la partie sud se dresse le massif
le plus imposant, culminant à Lalla-Khedidja (2 308 m),
le plus célèbre depuis l’Antiquité : le
mons Ferratus (?) des Anciens, le Djurdjura des relations des
Européens ; il finit même par désigner toute
la Kabylie. [...]
Le
peuple Kabyle
À
quel moment le nom kbayl francisé en Kabyles s’appliqua-t-il
aux habitants de cette masse de montagnes dominées par le Djurdjura ?
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que « Kabyle »
fait son apparition comme nom propre dans la littérature historique
et géographique de l’Afrique du Nord. Au XIXe siècle,
l’occupation française consacra définitivement le nom,
d’abord pour désigner les Berbères de l’Algérie
septentrionale, ensuite uniquement ceux du Djurdjura et de ses prolongements.
On les appelle bien encore Zouaoua, mais accessoirement ; ils
sont kabyles avant tout. C’est sous ce nom qu’ils firent leur entrée
dans l’histoire. [...]
Une
économie fondée sur l’agriculture et l’artisanat
Les
Kabyles sont des paysans essentiellement arboriculteurs en raison
de la nature de leur sol qui n’est qu’un vaste réseau de montagnes.
Sur les pentes aménagées, ils font croître l’olivier
et le figuier qui, immédiatement après le chêne
zen, occupent les plus grandes surfaces. Jusqu’à la fin du
XIXe siècle, la culture de ces deux arbres tenait la place
la plus importante dans les occupations et le revenu des Kabyles.
Ils consommaient une partie de leur production d’huile et de figues
et commercialisaient l’autre. [...] Il n’existe pas de prairies ni
de terrains de parcours en Kabylie. Aussi l’élevage y est-il
limité à quelques maigres troupeaux de chèvres,
rarement de moutons et de bovins. Ainsi, nature du sol et exiguïté
du territoire devaient assez tôt contraindre les Kabyles à
s’adonner à des occupations autres que l’agriculture. Jusqu’au
XIXe siècle, ils complétaient leurs maigres revenus
agricoles par l’émigration temporaire et l’exercice de plusieurs
industries artisanales, notamment celles des armes, du bois et du
tissage. Les deux premières disparurent en même temps
que la perte de l’indépendance, les forêts ayant été
expropriées et les fabriques d’armes fermées par la
puissance colonisatrice. Bien qu’il ne cesse pas de régresser,
concurrencé par les étoffes venues d’Europe, le tissage
s’est maintenu grâce au port du burnous et à la confection
de couvertures en laine encore fort appréciées des Kabyles.
Mais il ne constitue pas, comme par le passé, une source importante
de revenus. À part la bijouterie, d’ailleurs en voie de disparition,
l’artisanat kabyle a vécu. L’émigration, elle, et pour
cause, a évolué dans un sens tout à fait opposé.
Bien avant l’arrivée des Français, les Kabyles sillonnaient
toute l’Algérie et une partie de la Tunisie, exerçant
les métiers les plus divers, mais ne se fixant que très
rarement en dehors de la Kabylie. La colonisation et le progrès
technique rendirent l’émigration impérieuse et massive.
De nos jours, les trois quarts environ des hommes kabyles valides
et en âge de travailler vivent hors de la Kabylie vers laquelle
cependant sont tendus tous leurs efforts. Le manœuvre de chez Renault
à Paris, comme le plus haut fonctionnaire de l’État
algérien sont, en effet, animés par un seul et même
but : faire vivre la Kabylie, le premier en envoyant des sommes
d’argent durement amassées, le second en s’y construisant une
résidence, en faisant assurer à gros frais l’entretien
de terrains dont il sait d’avance qu’il ne retirera aucun profit,
enfin en casant les enfants du pays qui, d’ailleurs, demeurent toujours
ses égaux et devant lesquels il doit se dépouiller de
tout le prestige que lui confère sa position dans la hiérarchie
du pouvoir politique. [...]
Le
village Kabyle
Les
Kabyles vivent encore groupés en villages généralement
assez importants, pouvant atteindre plusieurs milliers d’âmes
et ne descendant que rarement au-dessous de cinq cents, et bâtis
sur les pitons de montagnes ou sur les sommets de mamelons séparant
les vallées. Qu’ils soient de forme allongée ou circulaire,
ils ont été conçus de façon à pouvoir
être efficacement défendus, du moins avant que l’artillerie
ne fasse son apparition. Ils portent le nom de touddar, pluriel
de taddart (vie, du radical dr, vivre, que l’on retrouve
avec ce sens dans tous les dialectes berbères). Les maisons,
toutes en dur, généralement sans étage, couvertes
de tuiles rouges, s’écrasent les unes sur les autres au point
que, vues de loin, elles donnent l’impression de n’en former qu’une
seule, immense. Le village, zébré à l’intérieur
par de nombreuses impasses, souvent taillées dans le roc, n’ouvre
sur l’extérieur que par deux ou trois rues. Il est très
rare qu’il soit entouré d’une muraille. Sans doute se modernise-t-il
chaque jour, mais, dans l’ensemble, son visage n’a pas changé.
Il y a un peu plus d’un siècle, ce village constituait une
unité politique et administrative complète, un corps
qui avait sa propre autonomie. Il était administré par
une assemblée (djemaa) composée de tous les citoyens
en âge de porter les armes ; elle assurait le respect des
règlements en vigueur, abrogeait les anciens et en édictait
de nouveaux si le besoin s’en faisait sentir; elle décidait
de l’impôt et de la guerre, administrait les biens de mainmorte
et exerçait sans partage le pouvoir judiciaire. Par délégation,
elle se déchargeait de l’exercice de ces pouvoirs sur un chef
de l’exécutif appelé, suivant les régions, lamin
(homme de confiance), amukran (ancien, dignitaire), ameksa
(pasteur), élu par tous les citoyens majeurs réunis
en assemblée plénière. Il présidait la
djemaa, assurait la mise en application de ses décisions
et préparait les affaires à lui soumettre. Il était
assisté dans ses fonctions par un oukil et des tamen.
L’oukil, généralement recruté au sein
du parti hostile à celui du lamin, gérait la
caisse publique et contrôlait les agissements du chef de l’exécutif.
Les tamen (mandataires) étaient désignés
par les fractions du village pour les représenter dans les
réunions restreintes et faire appliquer les décisions
de l’assemblée, qui étaient prises en réunion
plénière après des débats où tout
citoyen, sans distinction de condition sociale, pouvait émettre
et défendre ses opinions sur tel ou tel problème, proposer
des solutions, voire s’opposer à l’exécutif. La continuité
de cette organisation politico-administrative était assurée
par les kanoun, sortes de chartes dont certaines dispositions
fondamentales doivent remonter aux temps les plus reculés.
Bien que non écrits, ils représentaient l’autorité
matérielle la plus élevée et prenaient le pas
sur la religion même.
Le
malaise actuel
Le
village kabyle de type traditionnel n’existe plus. Son assemblée
perdit progressivement ses prérogatives entre 1857 et 1962.
Son lamin fut fonctionnarisé et ses kanoun interdits.
Après l’indépendance de l’Algérie, l’organisation
des communes mit fin aux assemblées de villages. Cela ne va
pas sans difficulté. Les Kabyles, qui ont toujours été
très attachés à l’indépendance, peuvent-ils
s’adapter à un système de gouvernement, fût-il
« démocratique et populaire », où le citoyen
ne jouit d’aucune liberté individuelle ? Leur rébellion
au lendemain de l’indépendance et leurs réserves à
l’égard du pouvoir actuel traduisent un malaise qui ne trouvera
sa solution que dans la reconnaissance du fait kabyle. Mais il ne
semble pas que l’on s’oriente dans ce sens. L’acharnement que l’on
met à vouloir détruire la langue kabyle en est une des
preuves. Or, après la disparition des institutions politiques
de la Kabylie, son originalité ne réside plus que dans
la langue, instrument de résistance efficace dans le passé,
non à l’époque moderne où l’instruction publique
généralisée favorise les hégémonies
linguistiques.
La
langue et la littérature kabyles
La
langue kabyle est le dialecte berbère parlé par le plus
grand nombre de berbérophones en Algérie. Dans les montagnes
on ne connaît pas d’autre mode d’expression quotidien, et dans
les villes comme Alger, Constantine, Sétif, Béjaia et
Annaba, peuplées pour moitié de Kabyles, elle est employée
au foyer et accessoirement dans la rue. Mais elle n’est ni écrite
ni enseignée. Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle,
aucun Kabyle ne s’y intéressa sérieusement. Ce sont
les Européens qui, les premiers, lui accordèrent quelque
intérêt: d’abord des militaires intéressés
ou désœuvrés ou des diplomates curieux, puis des linguistes,
rarement, hélas! des hommes de lettres. C’est grâce à
leurs travaux et à ceux de quelques pionniers kabyles qu’un
travail sur la littérature kabyle est devenu possible. Essentiellement
orale encore, la littérature kabyle est représentée
par deux genres majeurs : la poésie et le conte. [...]
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